Les femmes de joueurs ne connaissent pas la crise
La crise bancaire risque de peser lourdement sur les finances du championnat anglais de football, le plus riche de la planète. Les chasseuses de joueurs fortunés n'ont cependant pas trop de soucis à se faire.
Il est curieux de songer que le terme Wag [Wife and girlfriend] – un acronyme qui désigne les épouses et les copines des footballeurs – n'a fait son entrée dans l'Oxford English Dictionary que l'année dernière. Le concept semblait déjà aussi traditionnellement anglais que les supermarchés à la périphérie des villes ou le poulet vindaloo. Les Wags n'ont pourtant fait leur apparition dans la conscience du public qu'en 2006, quand elles ont accompagné leurs maris à la Coupe du monde en Allemagne et se sont fait photographier avec un bronzage orange, ivres et dansant sur les tables de bar de Baden-Baden en brandissant des sacs de grands magasins.
La une du tabloïdLes Wags personae non grata"Faites vos bagages" : tel est le message envoyé par le sélectionneur de l'équipe d'Angleterre, Fabio Capello, aux femmes et petites amies des joueurs, surnommées les Wags outre-Manche (wives and girlfriends). Voilà qui n'est pas pour déplaire au capitaine de la sélection, Rio Ferdinand, qui reconnaît dans le Sun que lors de la Coupe du monde 2006, en Allemagne, son équipe "était un peu devenue un cirque. C'était comme regarder se dérouler une pièce de théâtre. Le football était presque devenu un élément secondaire par rapport à l'événement principal. L'Angleterre avait été éliminée sans gloire en quarts de finale contre le Portugal. Le tabloïd rappelle quelques-unes des frasques des Wags en Allemagne : une addition de 25 000 livres (32 200 euros) dans un restaurant, des soins de la peau et des séances de bronzage à 100 livres (129 euros) de l'heure, ou une commande de 60 bouteilles de champagne de 4 500 livres (5 800 euros).
La semaine dernière, les Wags ont dû trembler dans leurs chaussures Jimmy Choo. Lord David Triesman, le président de la Fédération anglaise de football, a estimé la dette totale du football anglais à 3 milliards de livres [3,8 milliards d'euros]. Il souhaite – horreur – un plafonnement des salaires. Liverpool a retardé la construction de son nouveau stade. AIG, le sponsor de Manchester United, a été nationalisé de fait. La crise du crédit risque-t-elle de faire aux Wags ce qu'elle a fait à Lehman Brothers ?
La chasse au footballeur est un très vieux métier. Depuis la codification des règles du football en 1863, et même avant, certains femmes sont étrangement attirées par les footballeurs. Le Néerlandais Jan Mulder raconte dans Hard gras, un magazine de foot néerlandais, que dans les années 1960, alors qu'il était avant-centre d'Anderlecht, il s'était retrouvé à Bruxelles assis dans un taxi à côté de Catherine Deneuve quand il s'est aperçu qu'elle avait enlevé sa culotte. Pris de court, il fit semblant de ne rien remarquer et n'entreprit rien.
En Grande-Bretagne, où la Premier League est une sorte de reflet ouvrier de la City de Londres, les Wags sont les équivalents des épouses de la City. La City et le football ont longtemps été les deux bassins où les femmes qui n'avaient pas envie de travailler pour vivre pouvaient attraper un millionnaire relativement jeune. Ce métier a toujours été dur : John Lanchester a récemment défini le cycle de vie de l'épouse de la City : mariage, bonheur, rénovation d'un ancien presbytère dans un village lointain avec les enfants pendant que monsieur garde un pied-à-terre à Londres, puis remplacement par une version plus jeune et divorce. Mais la City semble aujourd'hui épuisée. Le football et les Wags en revanche se portent comme un charme.
Les clubs anglais ne coulent jamais
Warren Buffett [l'homme le plus riche du monde en 2008] a récemment expliqué pourquoi lors d'une conférence qu'il donnait à quelques investisseurs en Allemagne. Il leur a demandé sur quels critères on décidait ou non d'acheter une société. Le premier critère est traditionnellement un bon bilan. Buffett ne le plaçait cependant qu'en troisième position. Son deuxième critère, c'était une bonne équipe dirigeante. Et le premier, c'était la marque. Et c'est là que le football anglais est imbattable. Des clubs comme Liverpool et Newcastle construisent leur marque depuis le XIXe siècle. Même s'ils ont des dettes monstrueuses, ils ne coulent jamais. "Il y a une foule de gens riches qui font la queue pour reprendre le passif des clubs. Ces particuliers sont fous de football et ils ont grandi avec le football anglais", explique Stefan Szymanski, professeur d'économie à la Cass Business School de Londres.
Il y a des dizaines de clubs qui ont sombré dans l'insolvabilité depuis 1992 mais ils existent toujours. Le monde peut apparemment vivre sans la moindre banque mais pas sans Bournemouth AFC et encore moins Chelsea. Une dépression elle-même ne décimera peut-être pas les clubs, ajoute Szymanski. "Les années 1930 furent une période d'expansion pour le football anglais."
Les Wags sont peut-être sur le point de s'effondrer sous une table de bar mais pas sous le poids de leurs contradictions. Cette année sera peut-être même celle de leur triomphe – celle où elles s'installeront sur un trône de velours rouge comme David et Victoria Beckham lors de leur mariage en 1999. Les études sur le bonheur montrent en effet que ce qui rend les gens heureux, ce n'est pas d'être riche mais d'avoir plus que les autres. Les malheurs de l'épouse de la City font les délices de la Wag. Mais attention. Jadis spectacle accessoire, les Wags vont peut-être devenir le seul sport, à part la loterie nationale, capable de créer plus de 2 000 millionnaires. A l'heure où les perspectives sont en baisse pour les chasseuses de millionnaires, les Wags vont se retrouver confrontées à une concurrence croissante. Les bourgeoises britanniques et les importations étrangères affluent pour séduire leurs maris et certaines carrières déjà courtes risquent de le devenir encore plus. Peut-être les Wags devraient-elles se diversifier, acheter autre chose que des lunettes de soleil, mettre un peu d'argent à gauche, sous forme d'actions par exemple. Tout bien réfléchi, peut-être pas finalement.
Simon Kuper,
Financial Times (Londres)